Argumentaire du colloque

Interfaces troubles: masculin/féminin, humain/non humain, vivant/mort. Questionner les normes, les classifications et le primat du langage

« Trouver le point de vue c’est à dire le point de vue subjectif sous lequel des choses hétérogènes se laissent ranger, au lieu de trouver le point objectif, c’est à dire le genre, qui en se divisant, me donne une classification des choses en fonction de leur homogénéité. (…) quand j’emploie non pas des classifications, mais des classements c’est que je me propose autre chose. 
  Je me propose de ranger des modes d’existence. »

Deleuze : cours du 24 mai 1983, Vincennes, Paris 8

Les études de genre et lesdébats théoriquesautour de l’expérience existentielledes transgenres a ces dernières décennies interrogé les approches essentialisantes des catégories de genre en proposant de reconnaître les multiples agencementsqui traversentles catégories binaires du masculin et du féminin. L’Australie a par exemple ajouté sur les passeports une troisième case alternative à sexe masculin ou féminin. Le renouvellement théorique impulsé par les études de genre, queer, LGBT, et la relativité de l’opposition masculin/féminin fait écho à la relativité d’autres catégories binaires qui opposent les choses en termes d’essence, notamment le genre humain par rapport au non humain, ou encore le vivant par rapport à la mort.

Le nouveau millénaire a vu se troubler les frontières du monde occidental qui ont opposé dans la pensée scientifique comme dans le discours commun l’humain à l’animal mais aussi à d’autres formes d’existants, qu’elles relèvent des espèces vivantes, des phénomènes climatiques ou encore de la définition propre à chacun du cosmos et de la spiritualité. Si les pratiquants de cultes anciens ou nouveaux,des artistes, des visionnaires, médiums, thérapeutes ou leurs patientsexpérimentent des interfaces complexes entre le monde matériel et celui des esprits, le monde des vivants et celui des morts, d’autres, de plus en plus nombreux, interrogent aussi les frontières entre le monde biologique et les machines qui envahissent ou augmentent nos corps et nos environnements.

Pour pouvoir rendre compte de ces frontières troubles, nous sommes sollicités selon nos disciplines (anthropologie, philosophie, psychanalyse, etc.) ou comme simple membre de la société civile, à créer de nouveaux agencements d’interprétation qui ne réduisent pas les différence à des modèles homogénéisants mais au contraire rendent compte de processus hétérogènes et d’expériences existentielles qui se situent aux interfaces d’univers différents. La distinction que proposait Gilles Deleuze entre « classification » (de genre, d’essence, d’objets homogènes) et « classements » (typologie restituant les processus hétérogènes comme des points de vue subjectifs) est plus que d’actualité. Les cartographies développées par son complice Félix Guattari sont aussi ici convoquées pour rendre compte d’agencements hétérogènes, sans tomber dans un relativisme essentialisant.

La proposition de cette rencontre et d’essayer de questionner les normes essentialisantes – telle qu’exprimées dans les discriminations raciales -, les classifications – qui excluent certaines couches de la population – et le primat du langage – qui évacue la cognition des expériences sensibles, telle la culture des signes des sourds. Nous proposons de croiser des expériences existentielles à la frontière de trois oppositions classiques : masculin/féminin, humain/non humain, vivant/mort en invitant des spécialistes travaillant sur des terrainsde contextes culturels différents à discuter entre eux et avec des philosophes et des psychanalystes.